Protection sociale : trois idées reçues «de dingue»

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Macron met en scène sa philosophie sociale: "On met un pognon dingue et les pauvres restent pauvres"

Macron met en scène sa philosophie sociale: "On met un pognon dingue et les pauvres restent pauvres"

Selon un rapport ministériel, si la France est bien le pays européen accordant la plus forte part de son PIB aux dépenses de solidarité, cette politique s’avère efficace pour réduire la pauvreté. Un pavé dans la mare d’Emmanuel Macron, alors qu’il a dénoncé le coût de ces dépenses.

Alors ? Les minima sociaux coûtent-ils un «pognon de dingue», pour reprendre l’expression utilisée il y a une semaine par le président de la République dans son bureau, préparant son discours du 13 juin à Montpellier sur la politique sociale ?

Eh bien à décortiquer un (long) rapport des services du ministère des Solidarités et de la Santé (1), difficile de corroborer les dires d’Emmanuel Macron…

D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique (Drees),

«l’effort social de la nation au service de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale est évalué entre 1,8 % et 2,6 % du PIB en 2016», selon les dépenses que l’on inclut dans la «lutte contre la pauvreté».

Une enveloppe somme toute assez modeste (entre 40,5 et 57 milliards en 2016), ramenée au total des prestations sociales versées aux Français, pauvres et riches confondus (plus de 700 milliards).

Libération fait le point sur la politique sociale pour tordre le coup à trois idées reçues. (1) Enquête annuelle auprès d’un large échantillon (au moins 3 000 personnes).

Les prestations sociales «explosent»

A la recherche d’économies pour rester dans les clous budgétaires européens, le gouvernement pourra toujours s’appuyer sur cette étude pour - au moins - une chose : faire remarquer que les sommes déboursées par l’Etat pour lutter contre la pauvreté ont augmenté de 3 % entre 2006 et 2016. De 42,4 milliards d’euros en 2006, «l’effort national» en la matière
est passé à 57 milliards en 2016. Entre-temps, notons-le, la crise économique est passée par là…

Mais attention, ces sommes regroupent l’ensemble des minima sociaux dont parlait Emmanuel Macron dans sa vidéo (26,6 milliards d’euros en 2016), mais aussi «d’autres prestations sociales», comme la prime d’activité ou bien les aides des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (11,9 milliards d’euros) ainsi que les aides fiscales destinées aux plus pauvres (2 milliards) ou encore les «prestations» logement (10 milliards) et familiales (6,4 milliards).

Pour les seuls minima sociaux (dont le revenu de solidarité active, l’allocation aux adultes handicapés ou le minimum vieillesse), les dépenses étaient donc, la même année, de 26,6 milliards d’euros. Soit, à peu près, ce que reverse l’Etat aux entreprises chaque année en crédit d’impôt compétitivité emploi (20 milliards d’euros).

Si on élargit la focale à l’ensemble des prestations sociales (comprenant également les dépenses de retraites, de santé, d’emploi ou de famille à destination de l’ensemble des foyers
français), la Drees note qu’entre 1996 et 2016, les dépenses de l’Etat en la matière ont «doublé» pour atteindre plus de 700 milliards d’euros en 2016. Un argument que pourrait reprendre le gouvernement pour interroger leur «efficacité» dans la lutte contre la pauvreté. Sauf qu’il ne tient pas, puisque sur cette enveloppe, une petite partie seulement est dédiée aux pauvres. Si on rapporte ce «coût» à l’ensemble de la richesse produite en France, on passe de 28 % du PIB en 1996 à 32 % en 2015. Soit une augmentation de 4 points.

Les Français veulent moins de «pognon » pour les plus pauvres

Cela vaut tous les sondages qui risquent de fleurir bientôt dans la presse. D’après le «baromètre» de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
(Drees),

«l’idée selon laquelle l’Etat doit jouer un rôle prépondérant dans le système de protection sociale progresse ». La part des Français estimant que les pouvoirs publics n’en font «pas assez» est désormais de 65 % en 2017, contre 59 % deux ans auparavant, quand la proportion de ceux pensant qu’on en fait «trop» est tombée à 5 % (contre 8 % en 2015).

Le RSA ? Lorsqu’on leur fait remarquer qu’une «personne seule qui ne travaille pas» reçoit «525 euros par mois», 64 % répondent qu’il faut «augmenter» le RSA, soit un retour au niveau constaté en 2012. Toutefois, 14 % souhaitent voir cette aide «diminuer», soit le niveau le plus élevé depuis 2015 (17 %).

La Drees observe ainsi un «net recul de l’idée que la protection sociale est une charge pour la société».

La part des Français jugeant l’Etat trop interventionniste en matière économique et sociale est en forte baisse (22 % en 2017 contre 32 % en 2014). Tout comme le nombre de personnes considérant qu’il dépense trop en matière de protection sociale : 14 % jugent encore «excessive» la part du revenu national que le gouvernement y consacre (contre 22 %, un pic, il y a quatre ans) ; 62 % estiment les sommes dépensées «normales » et 22 % «insuffisantes», un chiffre en constante progression depuis 2013.

Enfin, fait remarquer la Drees, «l’idée que la Sécurité sociale coûte trop cher à la société demeure majoritaire dans l’opinion». Mais elle l’est de moins en moins : on est ainsi passé de 67 % des personnes se disant, en 2014, «d’accord » avec cette idée, à 57 % en 2017. La part des «totalement d’accord» tombant à 18 % l’an dernier, contre 25 % il y a quatre ans.

Difficile pour l’exécutif, avec de tels chiffres, de parier sur un soutien de l’opinion au moment où il cherche - aussi - à faire des économies sur le champ social.

La France fait moins bien que ses voisins. La France, championne européenne des dépenses de protection sociale ?

Oui. Du moins si l’on se penche sur leurs poids dans le PIB de chaque pays membre. Là, la France arrive bien en tête des 28 Etats de l’UE, en 2015. Avec 32 % de la richesse nationale française consacrée aux prestations sociales, l’Hexagone se positionne tout juste devant le Danemark (31,1 %) et la Finlande (31,1 %). Et assez loin devant la moyenne européenne, de 27,5 %. Par ailleurs, la part des dépenses dans le PIB a tendance à évoluer plus vite en France que chez nos voisins : entre 1996 et 2014, ces derniers ont en moyenne fait gonfler leurs dépenses de trois points. Soit un de moins qu’à Paris.

«La France est le pays champion d’Europe et probablement du monde dans les dépenses de protection sociale », résume Jean-Marc Aubert, responsable de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Du grain à moudre pour Emmanuel Macron ? Pas si sûr. Car le haut fonctionnaire nuance tout de go :

« Ceci s’explique essentiellement par les risques vieillesse et santé.» Et non pas, n’en déplaise au chef de l’Etat, par les aides destinées aux personnes en situation de chômage et de pauvreté, qui sont certes «importantes», mais «quand même faibles par rapport à la totalité des prestations sociales». Une répartition que l’on retrouve d’ailleurs à l’échelle européenne : selon la Drees, 82 % de la dépense des quinze pays de la zone euro est dédié aux enveloppes «vieillesse» et «santé ».

Une autre comparaison de la Drees permet de battre en brèche la réputation dépensière de la France : ce que dépense chaque année un pays en prestations sociales par habitant, exprimé en standard de pouvoir d’achat (ou SPA, une unité monétaire artificielle qui élimine les différences de niveaux de prix entre les pays).

Et là, l’Hexagone n’arrive qu’en sixième place, avec 10 113 SPA, soit 10 525 euros par habitant. C’est moins que le Luxembourg, par exemple (14 759 SPA, soit 19 886 euros) ou que le Danemark (11 016 SPA, soit 14 871 euros).

Conclusion : la France dépense, certes, beaucoup plus que nombre de ses voisins, mais ramenée au nombre d’habitants son enveloppe reste proche de celle des autres pays européens ayant un niveau avancé de protection sociale.

Surtout, ses efforts payent : entre 2008 et 2016, elle a fait baisser son taux de risque de pauvreté ou d’exclusion de 0,3 point.

Cela veut dire que la part de sa population ayant un revenu disponible, après transferts sociaux, inférieur à 60 % du revenu médian, qui s’élève à environ 1 000 euros (ce qu’on appelle le taux de risque de pauvreté monétaire), ou se trouvant en situation de «privation matérielle sévère» (incapacité de payer son loyer, se chauffer, faire face à des dépenses imprévues…) ou vivant dans des «ménages à faible intensité de travail» (chômage) a baissé. En la matière, elle fait mieux que la moyenne des 27 pays (1) de l’UE (-0,2 %).

Résultat, en 2016, son taux de risque de pauvreté et d’exclusion atteint 18,2 %. Et son seul taux de risque de pauvreté monétaire, malgré une légère hausse de 1,1 % sur la même période, est de 13,6 %.

Sans transferts fiscaux et sociaux, il serait de 24 %. C’est mieux que la moyenne des 27 pays (17,2 %). Et mieux que la Suède (16,2 %), l’Allemagne (16,5 %), le Royaume-Uni (15,9 %), l’Italie (20,6 %) ou l’Espagne (22,3 %).

(1) La Croatie n’ayant adhéré à l’UE qu’en 2013, elle n’est pas prise en compte par la Drees dans certains calculs. ■

par Lilian Alemagna et Amandine Cailhol pour Libération
 

Publié dans Politique nationale

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