Le secteur des Assurances, par le Pôle économique de la CGT

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Le secteur des Assurances, par le Pôle économique de la CGT

1) Le secteur de l’assurance

En 2017, le secteur de l’assurance affichait un chiffre d’affaires de 212 milliards d’euros en France. ¼ de ce chiffre d’affaires était lié aux cotisations pour les assurances de biens et de responsabilité tandis que les ¾ étaient liés aux assurances de personnes (assurance-vie, complémentaire santé,...). Il faut bien distinguer l’assurance-vie du reste. En effet, en dehors de l’assurance-vie, les assurances collectent les cotisations et versent des primes la même année, c’est essentiellement une gestion de flux. Seulement une petite partie des cotisations est stockée pour assurer un matelas de sécurité aux assurances.

Au contraire, dans l’assurance vie, les montants collectés sont confiées aux assurances pour une durée indéterminée. En pratique, cette masse d’argent confiée augmente constamment, sauf à de rares exceptions comme a pu l’être la crise sanitaire durant laquelle, pour certains mois, les ménages français ont davantage retirer d’argent de leurs assurances-vie qu’ils en ont placé. Le rôle des assureurs est de faire fructifier cette épargne. L’assurance-vie n’a donc «d’assurance» que le nom, c’est avant tout un produit d’épargne. Les sommes collectées dans le cadre de l’assurance-vie donnent aux assurances une puissance financière et une capacité d’intervention dans l’économie sans commune mesure avec le poids que représente l’assurance au sens premier du terme.

En effet, actuellement ce sont environ 1800 milliards qui sont confiés aux assureurs et aux banques sous forme d’assurances vie, soit plus de 8 fois le chiffre d’affaires annuel de tout le secteur de l’assurance. Cependant tout cet argent n’est pas la propriété des assurances; les assurances n’en sont que gestionnaires au nom de leurs clients.

Ce poids très important de l’assurance-vie dans l’économie française peut nous amener à surévaluer la puissance des «vrais» assureurs or ce ne sont pas toujours les mêmes acteurs.

2) Le rôle des assurances face à la crise

Les différentes assurances ont participé à l’effort de crise à hauteur d’un peu plus de 2 milliards d’euros. Ces aides ont pris la forme de versements directs au fonds de solidarité pour les TPE/PME, de prises en charge extra contractuelles ou encore de remboursements de prime (notamment dans l’automobile).

A cela va s’ajouter environ 1,5 milliard d’euros issus d’une taxe sur les complémentaires santé au profit de l’Assurance Maladie au motif qu’elles ont vu leur dépenses nettement diminuer du fait de moindres consultations notamment durant le premier confinement. Il faudra cependant veiller à ce que cette taxe ne soit pas répercutée sur les prix des cotisations, déjà régulièrement en hausse.

D’un autre côté, afin de se prémunir contre tout risque juridique,les assurances ont fait signer à leurs clients des avenants aux contrats afin d’exclure le risque pandémique de leur couverture. En effet, pour l’instant un flou juridique régnait autour de la prise en charge au nom de ce risque. Selon l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (superviseur du secteur bancaire et assurantiel), avant la crise du Covid seuls 3% des contrats étaient éligibles à une prise en charge des pertes d’exploitation, même dans une situation de pandémie.

Face à la multiplication des attaques en justice, les assureurs veulent cependant clarifier la situation, au détriment de leurs clients. Pour combler ce vide juridique, une définition claire du risque sanitaire devrait voir le jour dans les semaines à venir, cependant elle n’aurait pas d’effet rétroactif.
 
3) Le coût du capital au détriment des assurés
 
Le secteur de l’assurance figure parmi les plus rémunérateurs en termes de dividendes selon le Janus Henderson Global Dividend Index avec 32,5 Milliards de dollars versés au niveau mondial pour le 2èmetrimestre 2019, en hausse de 10,5%par rapport à 2018.
 
On retrouvait notamment Allianz à la 5èmeplace des plus gros payeurs de dividendes et l’assureur français AXA en 16èmeposition. Il est à noter que c’est sur l’assurance de personnes, assurance-vie notamment, que les compagnies d’assurances affichent la meilleure rentabilité. En effet, les assurances-vie leur permettent de disposer d’un capital pendant une longue durée. Ils se transforment donc en gestionnaires d’actifs et font fructifier ce capital sur les marchés financiers. La logique et le modèle économique ne relèvent alors plus du tout de l’assurance mais uniquement de la gestion d’actifs et de placements financiers.
 
a) Quels impacts de la crise sur la distribution de dividendes en 2020?
  • En France, l’autorité de régulation des assurances avait appelé les entreprises à renoncer aux versements aux actionnaires au moins jusqu’au 1eroctobre 2020. L’organisme européen de supervision de l’assurance avait également appelé à une modération des dividendes. Parmi les plus principaux acteurs français de l’assurance ou la réassurance, CNP Assurances (filiale de la Banque Postale) ainsi que Coface et Scor ont renoncé à rémunérer leurs actionnaires en 2020. De son côté, Axa a maintenu un dividende, divisé par deux par rapport à celui initialement prévu. Cependant, cela représente tout de même 1,7 milliards d’euros. Le patron de Scor avait trouvé «rageant» de ne pas pouvoir verser de dividendes. Après avoir dû renoncer au versement de la 2ème moitié de son dividende, les dirigeants d’Axa ont également démontré des signes d’impatience. On peut donc s’attendre à un rattrapage en 2021.
  • En Allemagne, dont dépend notamment Allianz, qui opère en partie en France, l’autorité de régulation a été plus mesurée. Ainsi Allianz a pu verser près de 4 milliards d’euros de dividendes et a confirmé un programme de rachat d’actions pour 1,5 milliard d’euros. Cela a permis au groupe allemand de passer à la 4ème place du classement mondial.
  • Le groupe italien Generali, qui couvre une partie du marché de l’assurance français, avait divisé par deux son dividende versé en 2020 pour respecter les demandes du superviseur européen, cependant le groupe cherche désormais à se rattraper. Le groupe a indiqué en novembre dernier que son plan triennal 2019-2021, qui prévoyait entre 4,5 et 5 milliards d’euros en cumulé sur les 3 ans, devrait être respecté.
Au niveau mondial, les dividendes versés par les assurances au 2ème trimestre 2020 se sont donc maintenus à 27,5 milliards de dollars, c’est plus que ce qui était versé en 2017.
 
b) Un coût du capital au détriment des assurés
 
Comme nous venons de le voir, les assureurs figurent parmi les plus gros verseurs de dividendes.
Pourtant une partie du secteur est composé d’entreprises mutualistes, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’actionnaires et donc ne versent pas de dividendes.
Il faut bien comprendre que chaque euro versé aux actionnaires est un euro qui ne sera pas reversé aux assurés et utilisé pour couvrir les risques. De plus ces versements ont un impact sur la trésorerie des assurances et leur capacité à faire face aux sinistres futurs. Ainsi le groupe mutualiste Covéa (GMF, MAAF, MMA), ne verse pas de dividendes, les bénéfices faits par le groupe sont donc mis en réserve. Cela permet au groupe d’afficher un ratio de solvabilité (qui mesure la capacité du groupe à faire face aux risques à venir qui pourraient se présenter) 4 fois supérieur aux exigences des organismes de régulation du secteur.
 
4) Vers un système public d’assurance?
 
Il y a sans doute un problème structurel du secteur des assurances. Comme pour les banques, l’évolution de leurs modèles d’affaire les a progressivement éloignées de leur cœur de métier (la gestion et la couverture du risque) pour glisser vers les activités de marché. De plus, l’assurance doit-t-elle être soumise à la recherche de profit? Vient alors la question: un système de gestion des risques publics ne serait-il pas plus efficace?
 
La question n’est pas anodine; la sécurité sociale (qui n’est en dernière analyse qu’un système public et collectif d’assurance sur des risques spécifiques) a montré sa grande efficacité tout en étant largement séparée des marchés. En effet le secteur de l’assurance santé est très instructif puisqu’il combine une partie publique, administrée par la Sécurité Sociale et une partie complémentaire privée qui regroupe des acteurs aux différents statuts (assurance, mutuelles, instituts de prévoyance).
 
Pour ce qui est de la Sécurité Sociale, les frais de gestion s’élevaient en moyenne à 3,4%, alors que ces frais étaient de 20,3% pour les organismes complémentaires soit 6 fois plus. Très concrètement, cela signifie que pour 100€ de cotisations le système privé en utilise 17,1€ de plus que la Sécurité sociale pour couvrir ses frais de gestion, c’est autant d’argent qui n’est pas consacré au remboursement des soins.  Cela permet de relativiser la pseudo efficacité du secteur privé.
 
Dans le détail, ses charges de gestion se décomposent en frais d’administration (8% en moyenne), les frais de gestion des sinistres s’élèvent eux à 4%. Enfin 8% sont consacrés aux frais d’acquisition c’est-à-dire à la publicité, au marketing ou encore à la rémunération de courtiers chargés de commercialiser les produits.
 
Au sein mêmes des organismes complémentaires on retrouve des disparités selon leur statut. Ainsi ces frais d’acquisitions sont de 5% pour les instituts de prévoyance, 6% pour les mutuelles, c’est le double pour les assurances (6%). En effet, la concurrence implique des dépenses importantes pour attirer la «clientèle», ce sont donc des dépenses qui n’existent pas dans un système public unique.
 
Le constat de l’efficacité d’un système public unique par rapport à un système privé concurrentiel dans le secteur de la santé laisse à penser qu’on assisterait à la même chose dans les autres secteurs de l’assurance.
 
Un nouveau système assurantiel pourrait également permettre d’introduire des mécanismes de solidarité et de redistribution entre entreprises notamment de la part des grandes entreprises aux bénéfices des plus petites. Ces dernières étant souvent économiquement dépendantes des premières et servant de variables d’ajustement en période de crises. De plus elles sont plus fragiles aux différents chocs qu’elles peuvent subir.
 
Montreuil, février 2021
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