Chine: l’intelligence artificielle au service de la protection des zones humides

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

 

La COP14 sur les zones humides se termine ce dimanche à Genève, après avoir débuté à Wuhan. La Chine a perdu par le passé nombre de ses marais, marécages, lacs, fleuves et rivières et se veut aujourd'hui exemplaire.

Au bord du fleuve Yangtsé, dans la réserve du lac Chenhu, il y a 11 000 hectares d’eau et de rizière où l’homme met rarement les pieds,et  c'est l’intelligence artificielle qui côtoie les oiseaux.

 

De notre envoyé spécial à Wuhan,

 

Des cris d’oiseaux, non pas dans la zone humide du lac Chenhu, mais dans son éco-musée accroché sur le bord d’un canal et d’une petite route en terre. Au troisième étage, une grande salle avec des hauts parleurs et un mur d’écran : vous avez ici en direct et en permanence la nuit, le jour, 24 heures sur 24, la vie de la réserve naturelle.  

 

« Ça, c'est notre système intelligent. Il y a un grand tableau de bord, des mesures de l’environnement avec des données sur les plantes et les sols. Et puis différents modules pour le son et l’image », explique Wen Zhuo, qui pilote les 31 caméras et 21 micros de la zone humide. 

 

Cela paraît peu pour une zone humide composée de quatre lacs, de marais, de marécages alimentés par les fleuves Han et Yangtsé. « Il ne s’agit pas de remplacer l’humain par la machine, rassure Wen Zhuo. Mais de se faire aider par l’intelligence artificielle » afin de mieux protéger les 561 espèces cachées dans la végétation. Soit : 277 types d'oiseaux, 58 espèces de poissons, des amphibiens, des reptiles et une trentaine de mammifères. 

 

« Nos yeux, ce sont les caméras »

 

Un système intelligent installé depuis juillet dernier vient en appui du travail des gardes de la zone humide. Feng Jiang, fait l’un des plus formidables métiers au monde. 15 ans qu’il travaille ici. Il passe sa vie à observer les oiseaux.

 

« Avant l’installation du système intelligent, on observait les oiseaux à la jumelle. Aujourd’hui, nos yeux, ce sont les caméras. On entre dans la réserve uniquement pour soigner les oiseaux blessés. Et puis on a des oreilles : les micros ont enregistré 227 chants d’oiseaux différents ces quinze derniers mois », assure-t-il.

 

Afin de s’en approcher, il faut emprunter les minibus navettes qui circulent entre les grands bassins de la « zone expérimentale »- la seule où l’homme est accepté. Une fois la brume du matin levée, les visiteurs peuvent apercevoir des colonies d’oiseaux migrateurs volant en formation serrée, ou pour ceux qui ont des jumelles justement, les jeunes cygnes qui s’ébattent près d’une mare aux nénuphars.  

 

Paradis pour les oiseaux 

 

Des oiseaux, mais aussi des hommes qu’il a fallu déloger de ce paysage d’eau et de bambous à 90 km au sud-ouest, à une heure trente de bus de la capitale de la province centrale du Hubei. Les pisciculteurs, les pêcheurs et les agriculteurs ont été indemnisés à raison de 1000 yuans par mu (0,06 hectare) et 400 yuans par mu pour les petits étangs sans structures, explique Fang Ying.

 

Pour cela, il a fallu démanteler des kilomètres de clôtures, des milliers de cages d’aquaculture, des filets. « Avant 2013, on élevait des poissons, des crevettes et des crabes ici, poursuit le directeur du département de la réserve naturelle de la zone humide de Chenhu. Depuis 2017, on a indemnisé ceux qui y travaillaient pour protéger la zone. Et on continue de garantir leurs revenus en distribuant des subventions chaque année dont on relève le barème de 5 % tous les trois ans. »

 

2013, 2017... Le responsable rappelle les deux dates qui ont suivi les débuts du premier et du second mandat du président chinois, manière de souligner l’implication du gouvernement central. « Les eaux limpides et les montagnes luxuriantes sont des atouts inestimables ». Le slogan affiché sur un mur de la salle de surveillance est également tiré d’un discours présidentiel. La zone humide du lac Chenhu est devenue une réserve protégée au niveau provincial en 2006, mais ce n’est qu’en 2013 qu’elle a commencé à suivre les standards internationaux en matière de conservation et de protection. 

 

Et le résultat se lit sur le compteur à l’écran. « C’est redevenu leur habitat naturel », assure Fang Ying qui se souvient avec émotion du jour où il a vu voler des cigognes en ligne à 20 mètres du sol. « La réserve comptait 35 000 oiseaux l’hiver, depuis le début de cette année, on en a vu passer 85 000 », ajoute-t-il. La zone humide du lac Chenhu se trouve sur le chemin de l’Australie pour ces passereaux, ces échassiers et ces oiseaux des rivages venus de l’extrême orient russe. L’occasion de faire une pause et de reprendre des forces pour ces oiseaux migrateurs.    

 

Guang You les observe via deux longues-vues grimpées sur un poste d’observation de la zone expérimentale. De là, il voit derrière la zone tampon, dans « le noyau » de la réserve, des « grues blanches, des pélicans frisés, des cigognes blanches orientales ». Mais aussi des canards à tête bleue, des bécasseaux de l’Anadyr, des bruants auréole qui viennent juste d’arriver. « On a de plus en plus d’oiseaux, poursuit cet ornithologue, mais ils sont arrivés avec un mois de retard. Avec le réchauffement des températures, ils restent plus longtemps dans le nord. »

 

 

La réserve du Lac Chenhu, paradis pour les oiseaux migrateurs se trouve à 90 km au sud-ouest, à une heure trente de bus de la capitale du Hubei. © RFI/Stéphane Lagarde

 

 

Travailler avec la nature et le changement climatique

 

Un dérèglement climatique qui, pour l’instant, n’empêche pas la zone humide protégée de jouer ses quatre saisons. Grâce à un changement de mentalités.

 

« En 1998, il y a eu d'énormes inondations le long du fleuve Yangtsé. Avant cette époque, l’approche de la gestion de l'eau en Chine était axée sur le contrôle via la construction de barrages et de digues. Depuis, l’accent est mis sur le travail avec la nature, avec plus d'espace octroyé au fleuve, explique Jim Harkness de l’ONG National Geographic Society. Et nous avons ici une zone humide restaurée qui est maintenant reconnectée au Yangtsé. Donc, en été, il peut y avoir des inondations. En hiver, l'eau s'écoule. C'est un processus écologique naturel qui est bon pour la nature et stocke également les eaux de crue. »

 

Là encore, un gros effort des pouvoirs publics a été nécessaire. Des campagnes de promotion des écosystèmes ont été menées auprès des habitants. « La Chine est l'un des pays qui a perdu le plus de zones humides dans le passé. Il y a eu un gros rattrapage à faire, euphémise Jim Harkness. La relation entre les hommes et l'eau est fondamentale. Une grande partie des Chinois vivent sur des plaines inondables, on parle de 400 millions de personnes habitant sur les berges du Yangtsé. » 

 

La préservation de la faune et de la flore est une priorité affichée dans une petite salle du rez-de-chaussée de l’écomusée de la réserve de Chenhu. « Nous avons des scolaires qui viennent ici, explique une guide, mais uniquement sur réservation et très peu de touristes. » 

 

L’an dernier, 71 millions de yuans (10 millions d’euros) ont été consacrés à un projet d’entretien et de protection de la zone humide. Au total, les autorités chinoises affirment avoir restauré 800 000 hectares de ces « écosystèmes irremplaçables ». 

 

Stéphane Lagarde pour RFI

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