Gaza : Le mot génocide n’est pas démesuré, c’est la réalité de Gaza qui l’est !

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Plus de 17 000 habitants de l’enclave palestinienne auraient été tués par l’armée israélienne depuis le 7 octobre. Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine, décrit le quotidien des Gazaouis qui n’est plus rythmé que par la mort. Elle appelle la France à sortir de son silence, en dénonçant les atrocités perpétrées, et à reconnaître, enfin, l’État de Palestine.

 

Native de Gaza, l’ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou Hassira, suit avec angoisse les frappes quotidiennes sur l’enclave où vit toute sa famille. La représentante de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) a perdu 60 de ses proches dans les bombardements israéliens, ces deux dernières années.

 

Après avoir été en poste en Belgique et au Canada, la cheffe de mission de la Palestine en France détaille les crimes perpétrés par Israël depuis les attaques du Hamas, le 7 octobre, à l’occasion de sa présence, ce lundi, dans les locaux de l’Humanité. Interview.

 

Quel regard portez-vous sur la situation à Gaza après deux mois de bombardements et d’opérations militaires ?

 

Personne ne pouvait imaginer que ce drame durerait aussi longtemps. Chaque jour, nous  dressons un bilan macabre. Toute perte est insupportable, qu’elle soit israélienne ou palestinienne. On ne s’attendait pas à ce que les autorités israéliennes puissent aller aussi loin dans leur projet d’anéantissement de la bande de Gaza et de déplacement forcé du peuple palestinien.

 

On approche des 16 000 morts, dont 75 % de femmes et d’enfants, et 93 % de civils. On parle de 36 000 blessés et 6 000 civils qui se trouvent toujours sous les décombres.

 

Au total, cela porte à près de 60 000 le nombre de personnes tuées ou blessées. Du fait des bombardements des hôpitaux, de la pénurie de médicaments, des tirs sur les soignants et les ambulanciers, la plupart des blessés ne survivront pas. Des centaines de milliers de logements ont disparu. Ma famille vit à proximité de l’hôpital Al-Shifa et ne parvient plus à se repérer dans son quartier. C’est l’apocalypse.

 

La situation en Cisjordanie est également préoccupante. Cela relève-t-il de la même stratégie ?

 

Dans les territoires occupés, des colons israéliens exercent une forme de terrorisme. Les Palestiniens n’osent plus prendre la route. Les habitants des environs de Ramallah ne s’y rendent même plus pour travailler. La vie est à l’arrêt. Des jeunes, des enfants sont assassinés par des colons qui tirent impunément. Près de 300 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre en Cisjordanie avec la bénédiction de l’armée et du gouvernement israéliens qui arment les colons. Il s’agit bien d’une guerre massive contre l’ensemble du peuple palestinien ; 3 680 personnes, dont des enfants, ont été arrêtées ces deux derniers mois.

 

Ils n’ont été ni jugés ni inculpés. Pour nous, ils sont pris en otage. Les Nations unies doivent donc faire respecter le droit international et rendre Israël responsable de ces crimes dont l’apartheid, l’occupation et la colonisation qui empêchent toute perspective de paix.

 

Vous êtes vous-même originaire de Gaza. Vous avez évoqué sur les réseaux sociaux les pertes subies par votre famille avec la mort de 60 de ses membres lors des bombardements israéliens. Quel est le quotidien des Gazaouis ?

 

Ma famille vivait dans l’ignorance de ce qui se déroulait dans le territoire avec la rupture des communications imposée par Israël. Je disposais de toutes les informations mais je n’osais pas leur transmettre pour ne pas les effrayer davantage. Comme il l’a déjà fait par le passé, Israël expérimente de nouvelles armes sur les Palestiniens, qu’il s’agisse du phosphore ou de bombes non conventionnelles qui déchirent littéralement les corps et réduisent les bâtiments à l’état de poussière. Tout cela est inédit et installe une terreur innommable.

 

La nuit, les bombardements s’intensifient. Du fait du blocus, la population essaye de se ravitailler dès 5 heures du matin. À midi, il n’y a plus d’espoir de trouver quoi que ce soit. Mes neveux patientent des heures en vain pour une goutte d’eau. Dans ma famille, 20 personnes, dont des enfants, se partagent parfois une boîte de conserve. Certains se privent de manger pour ne pas être obligés d’aller aux toilettes, du fait du manque d’eau. Peut-on imaginer cela ?

 

Des familles de 30 à 100 personnes se rassemblent sans eau, sans possibilité de se laver, de s’hydrater. De nombreuses maladies de peau se développent. Dans la partie nord de Gaza, 50 000 femmes enceintes seront contraintes d’accoucher dans des conditions sanitaires catastrophiques et dangereuses depuis la mise hors service des hôpitaux. Les Gazaouis souhaitent simplement que la nuit prenne fin.

 

La mort est devenue imminente. À chaque coup de fil, on fait ses adieux. Jamais je n’aurais imaginé entendre mes frères pleurer.

 

Tout le monde est piégé. Personne ne sait quoi faire. Quelle est la bonne solution pour survivre et assurer la sécurité de ses enfants ? Partir vers le sud, pour y être assassiné ? Mourir chez soi, en toute dignité ? Revenir dans le Nord ? Aujourd’hui, la décision revient à décider où l’on mourra. Même dans les écoles des Nations unies, où l’on croyait pouvoir trouver refuge en vertu de la convention de Genève, la mort est possible. Aucun lieu n’est sûr dans la bande de Gaza.

 

Mais il faut relever la résilience des Palestiniens. Le projet israélien veut les contraindre une nouvelle fois à l’exil. Malgré la destruction de leur maison, tous parlent de retour, quitte à planter une tente sur les débris. C’est la force de notre peuple. Personne ne veut une deuxième Nakba (la « catastrophe » de 1948 qui a contraint les Palestiniens à l’exil – NDLR). La première est inscrite dans la mémoire collective et nous ne voulons pas d’un nouveau départ alors que cet exil forcé était censé être temporaire. Soixante-quinze ans après, personne n’est revenu.

 

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, évoque un risque de génocide. Qu’en est-il ?

 

Ce qui se déroule à Gaza ne fait guère de doute au regard du droit internationalC’est un crime de génocide et nous ne prenons aucun plaisir à utiliser un tel terme. Mais la communauté internationale doit reconnaître l’existence de telles atrocités. Cette dénomination oblige les États signataires de la charte des Nations unies et des conventions internationales à agir : ils ont une responsabilité collective.

 

Le droit et les conventions internationales ont été coécrits par des Français. Ces textes ont été rédigés pour empêcher des atrocités de se répéter. Le mot génocide n’est pas démesuré, c’est la réalité de Gaza qui l’est.

 

Comment faire reconnaître ce crime de génocide ?

 

Il faut une commission d’enquête des Nations unies et des instances compétentes en la matière, dont la CPI (Cour pénale internationale). Ces experts doivent se rendre sur place pour instruire leur procédure. Nous accepterons leur conclusion. Si les crimes de guerre et contre l’humanité sont reconnus, les auteurs doivent être poursuivis. La Palestine est signataire de la convention de Rome et a donné un mandat complet au procureur de la Cour pénale internationale, cette semaine.

 

La France soutient-elle cette démarche ?

 

Nombre de pays européens et les États-Unis ont été submergés par l’émotion du 7 octobre. Or, ce n’est pas avec l’émotion que l’on résoudra la souffrance du peuple palestinien face à l’apartheid, la colonisation, l’occupation et les crimes en cours, ni la crise profonde.

 

Nous attendons que la voix singulière de la France s’exprime à partir du droit international. Aujourd’hui, nous souhaitons qu’elle rappelle ces principes et pousse à l’application du droit. En tant qu’État membre des Nations unies et du Conseil de sécurité, la France doit prendre ses responsabilités afin de garantir la paix mondiale.

 

Nous comptons sur sa voix pour un cessez-le-feu et l’instauration d’une dynamique politique qui aboutisse à une solution à deux États. J’appelle la France à reconnaître officiellement l’État de Palestine. Un État demeure absent dans la région : il faut y remédier. C’est la seule solution pour les Palestiniens d’exercer leur droit inaliénable à l’autodétermination dans un État souverain et indépendant. Nous souhaitons vivre en paix, côte à côte avec les Israéliens.

 

Comment contraindre Israël à cette reconnaissance ?

 

Les outils juridiques sont connus et offerts par le droit international. Son application forcerait Israël à mettre un terme à son occupation. Des instruments pacifiques existent et ont été utilisés dans la crise ukrainienne. Des sanctions doivent être décrétées contre la colonisation, contre les crimes et les atrocités. Israël ne doit pas y faire exception.

 

Comment appréhendez-vous le débat autour du droit d’Israël à la légitime défense ?

 

Chaque État a droit à la légitime défense. Ce droit doit s’exercer dans la limite de ses frontières. Ce droit peut-il s’appliquer pour un État occupant contre une population occupée ? En vertu du droit international, c’est le peuple palestinien qui devrait disposer du droit à la légitime défense contre l’occupation et les colons qui le terrorisent.

 

Malgré le nombre de vies civiles perdues, les pays qui continuent d’utiliser le prétexte du droit à la légitime défense cherchent seulement à légitimer les massacres. Il s’agit d’un feu vert donné au gouvernement le plus fasciste de l’histoire d’Israël.

 

L’objectif n’est-il donc pas celui d’une destruction totale du Hamas ?

 

Benyamin Netanyahou et ses fanatiques appliquent une punition collective. Parmi les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza, 50 % ont moins de 18 ans. Israël ne pouvait l’ignorer en lançant une attaque d’une telle ampleur. L’objectif d’un transfert de la population gazaouie vers le Sinaï égyptien a été déclaré publiquement : on divise d’abord la bande de Gaza entre les parties nord et sud, et, par les bombardements sur les habitations, les hôpitaux, les écoles, on organise un déplacement forcé de la population.

 

Qui, dans ces conditions, ne chercherait pas à mettre ses enfants en sécurité ? Malgré la fuite des habitants vers le sud, à laquelle ils ont été contraints, on assiste à un pilonnage de cette zone. La population qui se trouve dans le centre ne peut ni remonter vers le nord ni descendre vers le sud. J’en reviens à la définition de génocide. Il s’agit de perpétrer des actes qui touchent à l’intégrité physique et mentale d’un groupe national.

 

Détenu depuis plus de vingt ans, Marwan Barghouti demeure populaire. Quel rôle pourrait-il jouer dans l’unité du peuple palestinien ?

 

Depuis la première semaine de l’agression israélienne, tout le monde parle du jour d’après. Après quoi ? Le cessez-le-feu ou la concrétisation de ce projet israélien d’anéantissement et d’exclusion de tous les habitants de la bande de Gaza ? Je refuse de me projeter dans l’après, vu la catastrophe actuelle.

 

Mettons déjà un terme à ces crimes. Il y a près de 12 000 prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes, y compris des femmes et d’enfants. Ils sont des milliers à y être incarcérés sans jugement, sans inculpation, avec les détentions administratives. La libération de tous est un préalable.

 

Dans un deuxième temps, le peuple se prononcera par des élections. Ses instances légitimes résident dans l’OLP. En 2020, des élections devaient se dérouler, mais Israël a refusé leur tenue à Jérusalem.

 

Pour nous, c’est une ligne rouge, cela fait partie de l’accord signé avec Tel-Aviv, qui prévoyait la tenue d’un scrutin dans la bande de Gaza et la Cisjordanie. Les Palestiniens de Jérusalem n’ont pu exercer leur droit. Le peuple palestinien choisira ses représentants via un processus politique démocratique transparent.

 

Interview réalisé par Lina Sankari Vadim Kamenka et publié dans l'Humanité

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