Espérance Banlieues: la belle histoire se fissure...

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Espérance Banlieues: la belle histoire se fissure...

Voici un article de fond sur Espérance banlieues qui devrait particulièrement intéresser les pierrebénitains (Commune du Rhône) où le maire LR a livré les locaux de la jeunesse (L2VJ) à Espérance Banlieues avec la complicité du Président de la Région, un certain Wauquiez ! Ci-dessous l'article de Médiapart en question.

Depuis qu’un audit de la Fondation pour l’école a révélé des dysfonctionnements, l’horizon jusqu’ici radieux d’Espérance Banlieues s’assombrit. Ce réseau d’écoles privées hors contrat implantées dans les quartiers populaires et promouvant des méthodes traditionalistes voit se succéder crises et scissions entre ses fondateurs.

Espérance Banlieues est un réseau d’écoles privées hors contrat à la sauce traditionnelle mâtinée de patriotisme. Le triptyque gagnant y étant l’uniforme, vert sapin pour les garçons, bordeaux pour les filles, La Marseillaise chantée tous les matins lors de la levée de drapeau, et le voussoiement entre élèves et enseignants, qui leur rendent la pareille, quel que soit leur âge, ce qui contribue à créer une ambiance légèrement surannée.

En matière d’éducation, la nostalgie fait facilement recette. L’histoire de ces écoles a donc fait l’objet de pléthore de reportages admiratifs.

En 2012, Éric Mestrallet, Anne Coffinier et Lionel Devic, qui militent en faveur de l’école hors contrat, décident de lancer ces modèles d’établissement par le biais de la Fondation pour l’école. Ils ambitionnent de s’implanter dans les quartiers populaires pour y instruire les enfants et leur inculquer des valeurs qu’ils estiment primordiales. Comme à Argenteuil (Val-d’Oise), au Cours Charlemagne.

Chaque matin, le rituel y est immuable. Les enfants ont abandonné leur cartable sur le côté de la cour. Tous les petits se sont mis en rang devant le drapeau. Les élèves méritants, distingués chaque jour, sont appelés pour la levée du drapeau bleu, blanc, rouge. Le fanion s’élève le long de la hampe. « Pour remercier la France et nos parents qui nous permettent d’étudier au Cours Charlemagne, on chante La Marseillaise », tonne le directeur de l’école. Il lance la première note sitôt que le drapeau flotte. Un sonore « Allons enfants de la patrie » s’élève dans le silence de la petite cour, repris par tous les enfants et les enseignants. Un père de famille se joint au concert patriotique et, de l’autre côté de la grille, chante avec le groupe. Le premier couplet fini, direction les salles de classe.

Les 57 élèves se sont rassemblés et attendent que Benoît de Longvilliers, le directeur de l’école, dresse le bilan de la journée de la veille. D’une voix chaleureuse, il se lance dans son petit discours aux allures de sermon : « Il n’y pas eu de jeu de bagarre, il y a eu un effort. Quand on joue à un jeu, il faut accepter de perdre, car cela nous aide à progresser. Accepter les règles du jeu, c’est bien pour tout le monde. À votre âge, j’avais horreur de perdre. On a le droit de se tromper, mais pas le droit de ne pas essayer. » À Espérance Banlieues, on encourage la pédagogie positive.

Inauguré en septembre 2017, le Cours Charlemagne est l’une des dernières réalisations du réseau Espérance Banlieues, à la limite des quartiers des Coteaux et du Val-d’Argent-Nord, à Argenteuil. La ville vit avec le stigmate encombrant de sa dalle où, en 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avait promis de la débarrasser de la « racaille ».

Sept ans après sa naissance, seize écoles, surtout primaires, ont été ouvertes dans le réseau, où sept cents élèves sont scolarisés dans toute la France. Une goutte d’eau inversement proportionnelle à l’attention médiatique suscitée par ce modèle. Les écoles estampillées Espérance Banlieues ne disposent d’aucun financement public, mais de donations privées dont beaucoup viennent de grandes entreprises du CAC 40, BNP Paribas, Engie et Bouygues ou encore la Fondation Bettencourt-Schueller.

Ce sont des municipalités estampillées Les Républicains qui mettent des locaux à leur disposition, comme à Pierre-Bénite. La première est née à Montfermeil, dirigée par le très droitier Xavier Lemoine. Dès le départ, des stars apportent leur soutien. Harry Roselmack est devenu le parrain de la première école. Le journaliste de TF1 a aussi signé en 2015 la préface du livre Espérance Banlieues. En mars 2017, en pleine campagne présidentielle, une tribune signée par cinquante-cinq personnalités est publiée dans Le Figaro. L’ex-ministre Jean-Louis Borloo, les journalistes Mélissa Theuriau (qui a par ailleurs produit un documentaire laudateur sur l’expérience), Natacha Polony, Patrick Poivre d’Arvor, l’humoriste Jamel Debbouze ou encore la réalisatrice Houda Benyamina exhortent les candidats à la présidentielle à soutenir les écoles Espérance Banlieues pour « leur modèle éducatif innovant ».

« Innovant » n’est cependant pas le premier mot qui surgit à l’esprit, quand on pense aux écoles du réseau. La nostalgie d’une école traditionnelle, avec des règles strictes, irrigue le projet. Tous les enfants arborent le sweat floqué du logo Cours Charlemagne. Il est recommandé d’y associer un pantalon « de couleur foncée » et surtout pas de baskets de marque trop voyantes. Ici, on veille à « dépasser la pression vestimentaire ». Avant de pouvoir revêtir ledit uniforme, il faut le mériter. Les petits doivent respecter les règles édictées pour mériter de porter cette tenue. « Certains ne l’ont eu qu’à la Toussaint », explique encore le directeur.

Mais aujourd’hui, à un plus haut niveau, l’entente de cet attelage fondateur du projet vole en éclat. Un audit dévastateur, commandé par la Fondation pour l’école, a mis au jour des irrégularités dans la gestion d’Espérance Banlieues et de ses finances.

Anne Coffinier, directrice générale de la fondation entre en désaccord avec son président Lionel Devic, à propos de l’action d’Éric Mestrallet, qui préside l’association Espérance banlieues. À l’issue d’un conseil d’administration de la fondation tenu en avril, Espérance Banlieues doit désormais se développer dans le cadre d’une nouvelle organisation juridique totalement distincte et sans le soutien financier de la Fondation pour l’école.

Ce dernier mois, la discorde interne s’est poursuivie. Trois administrateurs de la Fondation pour l’école engagés depuis plusieurs années dans le projet (Jean-Christophe Perardel, Alexandre Pesey et Yann de Cacqueray), ont annoncé leurs démissions dans un courrier daté du 23 juillet, en raison de l’impossibilité de trouver de « la quiétude » pour réaliser leur mission. Une semaine auparavant, Anne Coffinier a dû annuler in extremis une conférence de presse le 17 juillet, à la demande d’un Lionel Devic qui s’étonne d’en découvrir l’existence et d’en ignorer l’objet.

Le président de la Fondation dit aussi avoir, comme le reste du personnel, découvert un entretien donné fin mars par la secrétaire générale à Causeur, dans lequel elle s’étonne de la volonté de ses associés d’obtenir des financements publics.

Le différend se joue en effet à un niveau plus profond, philosophique. Il est prêté à Éric Mestrallet des velléités d’émancipation, en passant à un modèle « sous contrat », ce qui signifie bénéficier des financements de l’État. Il ne s’en cache pas, l’homme rêve de conclure une convention avec l’Éducation nationale pour accroître sa force de frappe.

Un audit relève des dysfonctionnements

Éric Mestrallet se dit conscient des limites de son modèle et reconnaît que son projet « est marginal » au regard du nombre général d’élèves. Mais, se prend-il à rêver, « si on fait 200 écoles, ça touche 400 000 personnes, notre pays est sauvé. C’est un peu grandiloquent, je sais… » 

Cette conception et cette ambition ne sont pas du tout dans l’ADN de la Fondation pour l’école qui milite en faveur du développement du hors contrat et d’une plus grande liberté pédagogique.

La prise d’autonomie d’Espérance Banlieues vis-à-vis de la Fondation pour l’école était actée depuis le départ, insiste pour sa part Lionel Devic. Mais « la directrice générale ne veut pas lâcher le bébé », explique-t-il. « Espérance Banlieues est un beau succès, il y a de beaux mécènes, explique-t-il. Ce qui crée de la tension et des problèmes d’ordre égotique et d’affect. »

 

Dans l'une des salles de classe du Cours Charlemagne à Argenteuil. © FZ Dans l'une des salles de classe du Cours Charlemagne à Argenteuil. © FZ

 

L’audit souligne qu’il est difficile de démêler les relations entre la Fondation pour l’école, la Fondation Espérance Banlieues (FEB) qu’elle abrite et l’Association du réseau Espérance Banlieues (AREB), créée par Éric Mestrallet en juillet 2017.

La destination des dons pose question, ne serait-ce que parce que la Fondation pour l’école est reconnue d’utilité publique et qu’à ce titre, ils sont défiscalisés.

Dans l’audit, on peut ainsi lire : « Lors de contrôles effectués sur le parcours des dons, nous avons pu identifier que la plupart d’entre eux sont à destination d’Espérance Banlieues, pouvant créer une certaine confusion entre la FEB, destinataire identifiée des dons, et l’AREB, qui n’est pas habilitée à recevoir des dons de particuliers. » Un don à l’ordre d’Espérance Banlieues sera-t-il encaissé par la Fondation Espérance Banlieues ou par l’Association du réseau Espérance Banlieues ?

« Cela peut avoir pour conséquence une visibilité limitée pour la Fondation pour l’école, en tant que membre fondateur de la Fondation Espérance Banlieues. Les donateurs disposent quant aux rôles respectifs des fondations d’un droit de regard sur les activités menées abritante-abritée », écrivent encore les auditeurs. Qui notent un autre risque, en pointant que « la faculté d’engagement étendue du Président associée à une procuration illimitée sur les comptes bancaires est générateur de risque opérationnel ». En clair, l’accès aux comptes bancaires doit être mieux délimité.

Le salaire d’Éric Mestrallet pose également problème. Depuis juillet 2017, il est rémunéré par la Fondation pour l’école au titre de mandataire social et « président ». Il perçoit 5 000 euros brut par mois, soit 3 984 euros net.

Problème : c’est une irrégularité manifeste. L’article 10 de la convention de création de la Fondation Espérance Banlieues stipule clairement que « les fonctions de membre du comité de gestion et de président sont gratuites ». C’est ce qu’indique le rapport d’audit, qui précise : « Le vice-président et la directrice générale se sont opposés au versement de la rémunération du mois de février, qui a néanmoins été versée par Lionel Devic. »

Entre 2012 et 2017, Éric Mestrallet est d’ailleurs administrateur bénévole et ne perçoit aucune rémunération. Lionel Devic explique qu’avec la montée en puissance du réseau et l’investissement d’Éric Mestrallet, la situation n’était plus tenable. Il est donc acté qu’un avenant à son contrat devait être fait pour que le versement de cette rémunération soit encadré. Pour Lionel Devic, il s’agit en réalité d’une « négligence dans la formalisation » de la décision, incombant à la directrice générale qui, selon lui, était au courant. Éric Mestrallet parle pour sa part d’une simple « irrégularité administrative ».

Une plainte contre X pour « abus de confiance » a pourtant été déposée le 4 mars auprès du procureur de la République de Paris par trois administrateurs de la Fondation pour l’école, Yann de Cacqueray, Frédéric Guillaud et Alexandre Pesey, ainsi que la directrice générale, Anne Coffinier. Dans cette plainte, ils se demandent s’il existe « un risque civil ou pénal en raison de la rémunération d’Éric Mestrallet ». Elle a été classée sans suite !

Le ministère de l’intérieur, à qui il revient d’accorder ou de retirer la reconnaissance d’utilité publique, pourrait lui aussi tiquer.

« Étant donné que la gestion désintéressée est une condition à remplir pour obtenir et conserver la reconnaissance d’utilité publique, des liens d’intérêts directs et indirects ainsi qu’une rémunération d’un dirigeant sans respecter les modalités statutaires pourraient remettre en question cette gestion désintéressée », expliquent les auditeurs dans leur rapport.

Éric Mestrallet, à la fois président de la Fondation et de l’Association du réseau d’Espérance Banlieues, a créé avec Lionel Devic une société, Maecenas.

Selon le rapport d’audit, cette dernière a facturé au moins une fois du conseil à une école soutenue financièrement par la Fondation pour l’école. Ces prestations – des consultations juridiques ou du mailing entre autres – auraient été facturées 90 000 euros sur les trois dernières années, toujours selon l’audit.

« La facturation totale 2016 et 2017 de la société Maecenas a été de 21 599,75 euros sans TVA car la faiblesse du chiffre d’affaires de la société fait qu’elle n’y était pas assujettie, y est-il aussi écrit. La facturation de la société précitée est composée en totalité de refacturations de fournisseurs et prestataires divers. »

Lionel Devic assure que les chiffres de l’audit sont erronés et que cela a été corrigé dans une version ultérieure, qu’il n’a pas pu communiquer à Mediapart.

Il jure aussi que la société Maecenas n’a facturé aucune association gestionnaire d’école (aidée ou non par la Fondation pour l’école ou la Fondation Espérance Banlieues). Éric Mestrallet appuie cette version des faits et ajoute que les auditeurs ont de surcroît mélangé des sommes avec et hors taxes.

Pour les deux hommes, cette brouille n’a pas pour autant entamé le capital sympathie d’Espérance Banlieues.

Ancien assistant parlementaire du sénateur de l’Aveyron Bernard Seillier, proche de Philippe de Villiers et du Mouvement pour la France, Éric Mestrallet assure avoir tourné le dos à la politique. Mais il n’est pas un homme sans soutien.

Dans une vidéo projetée en avril 2016 lors d’un colloque organisé par Espérance Banlieues à l’Assemblée nationale, Jean-Michel Blanquer, alors directeur de l’Essec, apportait à la démarche « son témoignage et son soutien », jugeant en termes élogieux que l’action d’Espérance Banlieues

« rassemble les ingrédients de ce qui réussit dans un système scolaire ». « Ce que fait Espérance Banlieues correspond à mon avis au type d’initiatives que nous devons prendre, dans le secteur public, dans le secteur privé, pour arriver à contribuer à l’intérêt général », ajoutait-il.

 

 

Le ministre de l’éducation nationale n’est pas le seul homme politique à trouver des vertus à Espérance Banlieues. Le 31 janvier était organisée à l’Opéra royal du château de Versailles une représentation d’un spectacle joué par les enfants de l’école d’Asnières, baptisé Le cœur fait tout, le reste est inutile. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire y a participé. 140 000 euros auraient été dépensés pour cette soirée. Henri de Castries, Claude Bébéar, Xavier Darcos ou encore Stanislas Dehaene avaient été invités.

« On veut mettre un peu de France en eux »

Les critiques dont fait l’objet Espérances Banlieues ne se bornent pas à des conflits de gouvernance. Des parents commencent également à remettre en cause la qualité de l’enseignement dispensé, ou son prix pour des foyers très modestes. À l’origine, ces écoles avaient un caractère d’attraction indéniable dans les quartiers déshérités, comme un dernier recours pour des parents inquiets qui veulent offrir le meilleur à leurs enfants.

Marion, 33 ans, voile beige autour du visage, a inscrit ses deux aînés, âgés de six et huit ans, au Cours Charlemagne, à Argenteuil, en septembre 2018. Elle a entendu parler de l’école grâce à son époux, qui connaît une élue de la ville. Avant d’intégrer Espérance Banlieues, la mère de famille a connu bien des déconvenues. Durant l’année du CP de son fils, l’enseignante de l’école publique multipliait les absences. « Avec les remplaçants qui se sont succédé, cela ressemblait plus à de la garderie. » La continuité a été assurée l’année suivante et son enfant s’est un peu réconcilié avec l’école.

Depuis le passage à Espérance Banlieues, le couple verse chaque mois à l’école 159 euros pour ses deux enfants. Elle est mère au foyer et son époux propriétaire d’un garage. « C’est quand même une somme, mais je ne peux pas jouer au loto avec la scolarité de mes enfants », explique-t-elle. Si elle dit se « ficher » du rituel du matin avec le drapeau et La Marseillaise, la jeune femme apprécie les principes moraux distillés par l’école, les règles tracées à la main en rouge et punaisées sur le mur de la grande salle qui fait office de réfectoire à l’heure du déjeuner.

D’autres familles, outre le prix à payer pour l’éducation, en sont complètement revenues. Chahida, mère de famille marseillaise, était d’abord séduite par les « magnifiques » locaux du Cours Ozanam, à mille lieues des écoles publiques marseillaises épinglées en 2016 pour leur insalubrité et les rats qui peuplaient certaines d’entre elles. Chahida y croit, persuadée d’avoir décroché le Graal, au point d’être prête à distribuer des tracts en ville pour le compte de la Fondation, afin d’attirer d’autres familles.

Son époux a entendu parler de cette école privée d’un nouveau genre lors d’une réunion municipale. Il en ressort « emballé ». Avant, le jeune garçon, qui a effectué son CP et CE1 au Cours Ozanam, était scolarisé dans une école en éducation prioritaire, « une ZEP light », selon la mère de famille. Mais ce qui l’a séduite dans Espérance Banlieues, c’est la pédagogie, qu’elle trouvait alors « idéale ». Au départ, rien ne la choque, pas même le lever de drapeau quotidien, « un détail », selon elle. Elle accepte de s’acquitter d’environ 80 euros par mois, « plus 30 euros de transports en commun ».

La direction de l’école lui assure par ailleurs que l’établissement est laïque et aconfessionnel. Musulmane, elle déplore le manque de diversité des encadrants. « En dehors du directeur, il n’y a pas de gens des quartiers. » L’enseignement des valeurs religieuses catholiques achève de la décevoir.

Sur le contenu des leçons, la mère tique aussi. Son fils, assure-t-elle, ne savait pas tracer de carré ou de rectangle, car il n’a pas bénéficié de cours de géométrie. « Je m’en veux, je pensais être à cheval sur l’école, mais je n’ai pas été assez vigilante », dit Chahida.

Elle regrette d’avoir confié son enfant à des « professeurs non diplômés dans la pédagogie et l’animation, sûrement brillants dans leur domaine, mais qui ne savent pas forcément gérer des enfants handicapés, par exemple ». Elle a déposé plainte pour négligence, mais dit n’avoir aucune nouvelle.  Aujourd’hui, elle se sent « flouée » et « écœurée ». « On nous a vendu du rêve », résume-t-elle.

Interrogé sur ces cas marseillais, Éric Mestrallet parle de « manipulations » et rappelle que deux autres plaintes ont déjà été classées sans suite.

À Argenteuil, le directeur du Cours Charlemagne, Benoît de Longvilliers, assure que les programmes sont respectés. Aucune évaluation indépendante, comparant des cohortes d’enfants scolarisés à Espérance Banlieues avec d’autres élèves, n’a toutefois jamais été réalisée, malgré la demande pressante de la Fondation pour l’école.

Le manque d’expérience des professeurs est aussi pointé par certains. Dans l’école d’Argenteuil par exemple, Camille, la professeure de CE2, a travaillé huit ans durant aux ressources humaines de deux grandes entreprises, à La Défense. Lassée et « en quête de sens », cette cadre obtient une rupture conventionnelle. Et après trois semaines de formation avec la conseillère pédagogique de l’école, elle se retrouve face à une classe à double niveau, CE1-CE2. Son autre collègue avait, elle, été ingénieure durant cinq ans avant de bifurquer vers l’enseignement.

Pour épauler les enseignants, Espérance Banlieues fait appel à des jeunes en service civique. À Argenteuil, quatre d’entre eux aident à la « remédiation individuelle », c’est-à-dire font lire les petits qui sont en difficulté. Françoise de Lessan, ancienne professeure des écoles durant vingt ans dans des quartiers difficiles, est aussi bénévole à l’école. Elle « apporte son expérience », explique le directeur. Elle a d’ailleurs forgé sa propre méthode de lecture, s’enorgueillit-elle, basée sur la méthode syllabique pure, considérée pourtant par certains spécialistes comme non adaptée aux enfants de milieu populaire. Cette méthode, sans aucun apport de la méthode globale, est à rebours de ce qui se pratique à l’école publique.

Éric Mestrallet n’en démord pas. Aucune vision idéologique, aucune référence partisane, chez Espérances Banlieues. « Nous sommes des bouffées d’oxygène pour ces familles », explique-t-il. L’objectif est simplement d’insuffler aux enfants des quartiers « le savoir-être » et les codes dont ils manqueraient. Ce père de huit enfants, scolarisés dans le public et le privé tient-il à préciser, se définit comme un « pragmatique, pas un idéologue ». « Ce n’est pas l’armée quand même », tempère de son côté Marc-Henri Figuier, le président de l’association qui dirige l’école d’Argenteuil. « On veut mettre un peu de France en eux », renchérit Françoise de Lessan, la conseillère pédagogique de l’établissement.

La dynamique d’Espérances Banlieues rencontre aussi des oppositions politiques.

Dernière en date, le maire PS du Mans Stéphane Le Foll, qui a refusé d’apporter son soutien à une école du réseau, rapporte Ouest France. À Reims, l’école, qui accueillait sept élèves, doit trouver de nouveaux locaux. Céline Malaisé, conseillère régionale (PCF), fait elle aussi partie des adversaires de ces écoles. Pour elle, Espérance Banlieues « voit la banlieue comme une terre de mission ».

Un ancien cadre de l’Éducation nationale, qui a pu visiter une école il y a quelques années, se souvient surtout d’avoir vu « une école de boy-scouts avec une attention à l’individu, dans un cadre traditionaliste ».

Un autre bon connaisseur du ministère de l’éducation nationale déplore que les familles, originaires du Maghreb principalement, ne trouvent pas « dans l’école de la République ce qu’ils doivent y trouver. Cela me pose problème, car il vont avoir dans ces écoles des enseignants bienveillants, mais pas dotés de qualifications extraordinaires ».

En misant sur la tradition et le rejet de l’école publique, Espérance Banlieues a joué la carte de l’exemplarité. Ni sa gouvernance ni sa gestion ne semblent aujourd’hui conformes à la promesse faite aux familles, et aux politiques qui l’ont soutenue.

Article de Faiza Zerouala pour Médiapart

Le 27 juillet 2019

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
Article fondé sans les bonnes informations,ni les bonnes recherches..Très satisfaite du cours Charlemagne,mes enfants aussi.Ils se sentent plus à l'aise que dans le public.Le niveau est assez bon,lorsque je compare les leçons,devoirs et programmes de ses camarades!
Répondre
F
Le dossier est très argumenté et solide et met en cause l'éthique des promoteurs de ces écoles privées. Je ne conteste pas que des parents puisent être satisfaits, là n'est pas la question première de cette article qui traite plutôt que le privé le peut en aucun cas remplacer l'école de la République qui doit être laïque, gratuite, traiter les enfants à égalité quelque soit leur origine sociale et former des enfants à la citoyenneté. Cette école publique dont nous rêvons tous a été mise à mal et ça continue avec Macron, par les politiques des gouvernements successifs depuis au moins une trentaine d'années. Tout est fait pour casser cette école et favoriser le privé sans contrôle. Il s'agit d'instaurer deux types d'école, une école publique sans moyens, réservée aux gosses de pauvres pour tenter d'avoir une éducation à minima qui ne vienne pas faire obstacle à la domination des élites et une école pour les familles plus aisées, voire les plus riches afin que les gosses aient plus de chances de réussir tout e,n perpétrant la continuité de la société en classes distinctes. C'est tout le contraire de l'égalité et de la laïcité et des fondements de l'école de la République qui doit être une école de l'émancipation humaine.