Service public : le cas d’école par Stéphane Bonnéry

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Dans une société fragmentée par la violence du système capitaliste, comment ceux qui la subissent peuvent-ils se retrouver ? C'est le thème du débat ouvert par l'Humanité intitulé : Précarité, inégalités, discriminations, quel combat les classes populaires ont-elles à mener ensemble ?

Stéphane Bonnery est Professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII nous donne son opinion.

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De l’après-guerre aux années 1990, un compromis instable a prévalu : les enfants de toutes les catégories sociales ont étudié plus longtemps, mais ce progrès ayant été parallèle pour tous, les écarts sont demeurés.

L’injustice sociale s’est déplacée : autrefois, les enfants de paysans et d’ouvriers étaient dans leur immense majorité empêchés d’étudier au-delà de l’école primaire car la poursuite d’études était payante, la sélection se faisait à l’entrée ; avec les réformes de massification de l’enseignement secondaire, la sélection a été internalisée au sein de la relation pédagogique, les modalités d’enseignement préconisées ont le plus souvent pris pour modèle les enfants qui sont dans leur famille préparés au quotidien au type de raisonnement savant et scolaire, pourtant très particulier.

En effet, dans la majorité des familles, on n’enseigne pas à tenir un stylo ou à découper avec des ciseaux avant l’entrée en maternelle. Avec des élèves plus âgés, on ne peut pas non plus remplacer le professeur pour faire le « cours », quand celui-ci n’a pas clairement fait l’objet d’une appropriation en classe, surtout que les programmes ont considérablement changé.

Cela concerne, bien sûr, les enfants des familles de travailleurs peu diplômés, mais, plus généralement, une bonne partie des familles de cadres ne sont pas au fait des attentes pédagogiques. Ils sont donc très majoritaires à être pénalisés quand l’école (comme c’est souvent le cas du fait des injonctions hiérarchiques) fait comme si l’élève « normal » était celui qui bénéficie d’une socialisation scolaire à la maison.

Tous les élèves peuvent apprendre la même chose, avec des contenus ambitieux, mais pas à n’importe quelle condition pédagogique. Les exigences doivent être maintenues sur tout le territoire dès les plus petites classes, sans les réduire, ni par cynisme social ni par compassion caritative qui désarme intellectuellement les enfants des classes populaires.

Or les réformes conduites depuis trente ans, et celles de Blanquer en particulier, accroissent le problème. Leur but est de séparer les publics, avec le contournement de la carte scolaire pour que les élèves des familles très diplômées se retrouvent rien qu’entre eux, en différenciant les objectifs d’enseignement selon le public de l’établissement, etc.

Mais qu’est-ce que les familles de cadres ont à gagner, quand la baisse des moyens accordés à l’école conduit à accroître les temps de trajet quotidiens pour suivre une scolarité de qualité ? Qu’est-ce que les fractions intellectualisées du salariat ont à gagner des réformes de réduction des missions de l’école publique prévues par Blanquer : suppression de disciplines enseignées, réduction aux basiques de mathématiques et de français… ? Ces familles devront faire l’école à la maison, ou payer des cours particuliers…

Garantir un service public de qualité avec les mêmes objectifs sur tout le territoire, c’est bien sûr profitable aux enfants des catégories les plus populaires du salariat. Mais c’est aussi profitable à l’immense majorité des familles : faire l’école à l’école, donc que le service public ait les moyens nécessaires pour former autrement les maîtres et augmenter leur nombre.

Seule une petite minorité a réellement intérêt à mettre les élèves et les familles en concurrence permanente, à affaiblir les objectifs scolaires pour les renvoyer à l’initiative privée (familles, cours payants, action des collectivités locales qui se substitueraient à l’État), et donc détourner les dépenses ailleurs que vers la satisfaction des besoins sociaux.

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