Barème Macron : la Cour d’appel de Grenoble invoque un fondement nouveau pour l’écarter.

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 16 mars 2023, rejette l’application du barème Macron en invoquant un motif nouveau : depuis la mise en place du barème, le gouvernement n’a pas réalisé d’examen à intervalles réguliers du barème d’indemnisation, contrairement à l’obligation qui a été mise à sa charge par l’OIT (Organisation internationale du travail).

1. Faits et procédure.

 

Une salariée a été embauchée le 29 décembre 2010 par la société Climinvest dans le cadre d’un CDD, en qualité de réceptionniste polyvalente, statut employé. En dernier lieu, elle exerçait le poste de Directrice d’un hôtel Kyriad dans le cadre d’un CDI.

 

En date du 16 mars 2018, le médecin traitant de la salariée lui a rédigé un certificat recommandant une réduction de son temps de travail et a alerté le médecin du travail, qui a proposé à la salariée de faire une déclaration de maladie professionnelle en raison d’un épuisement professionnel. Elle a été placée en arrêt de travail du 29 mars au 13 avril 2018, puis s’en sont suivies plusieurs prolongations jusqu’à la fin du mois de janvier 2019.

 

Par courrier en date du 30 mai 2018, la salariée a alerté la SARL Climinvest sur ses difficultés dans l’exécution de son travail. Elle a également constaté qu’elle n’avait pas reçu sa prime d’objectifs au mois de mai 2018. A la suite du refus d’une solution amiable par la société, la salariée a, par requête en date du 12 octobre 2018, saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble et a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail et l’indemnisation de ses préjudices subis.

 

En date du 1er février 2019, elle a été déclarée inapte par le médecin du travail. Elle a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie du 2 au 28 février 2019. Par lettre en date du 1er mars 2019, elle s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude. Par jugement en date du 8 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a :

 

  • Dit que la SARL Climinvest a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation de loyauté ;
  • Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée aux torts exclusifs de la SARL Climinvest ;
  • Dit que cette résiliation judiciaire s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les effets à compter du 1er mars 2019, date du licenciement ;
  • Condamné la SARL Climinvest à payer à la salariée différentes sommes.

 

La société Climinvest a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.

2. Moyens.

 

La société Climinvest demande à la Cour d’appel de Grenoble d’infirmer le jugement de première instance, et, statuant à nouveau, de constater qu’aucun manquement contractuel grave n’a été commis par la société et de dire et juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée aux torts de la société n’est pas fondée. A titre subsidiaire, elle sollicite que le licenciement pour inaptitude notifiée à la salariée soit jugé comme fondé sur une cause réelle et sérieuse.

 

La salariée sollicite quant à elle la confirmation partielle du jugement du Conseil de prud’hommes de Grenoble, mais sollicite son infirmation quant au montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Alors que le Conseil de prud’hommes de Grenoble a condamné la société à lui verser la somme de 24.800 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle sollicite en cause d’appel la somme de 40.000 euros nets.

3. Solution.

 

La Cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement entrepris sauf s’agissant du montant alloué à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Statuant à nouveau, elle condamne la Société Climinvest à payer à la salariée la somme de 40.000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

La Cour d’appel de Grenoble a commencé par rappeler l’arrêt en date du 11 mai 2022 (pourvoi n° 21-14.490), par lequel la chambre sociale de la Cour de cassation a conclu que les dispositions de l’article L1235-3 du Code du travail, instituant le barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

 

Elle relève ensuite que lors d’une session, le conseil d’administration de l’OIT a adopté le rapport du comité d’experts chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention n°158 sur le licenciement, lequel a invité le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif.

 

Elle reconnait que cette décision du comité d’experts n’est pas une décision émanant d’une juridiction supra-nationale s’imposant au juge français, mais elle considère toutefois qu’elle a une « autorité significative » et que « le juge français peut, voire, doit y recourir afin d’interpréter une convention ratifiée par la France dans le cadre de l’Organisation internationale du travail ». Elle en déduit que :

 

« Il est dès lors mis à la charge du Gouvernement français une obligation particulière dans le cadre de l’application de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT par le Conseil d’administration de l’OIT.

 

Il s’ensuit que si le juge national n’a pas le pouvoir de vérifier que le barème institué par l’article L1235-3 du Code du travail garantit au salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse jugé compatible avec l’article 10 de la convention OIT n°158 une indemnisation adéquate de son préjudice dans le cadre de cet accord international, un salarié est fondé à solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie, dans un litige l’opposant à son employeur, à raison de l’absence d’examen à intervalles réguliers par le Gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

 

Elle en conclue que :

 

« Lesdits barèmes sont entrés en vigueur le 24 septembre 2017 et aucune évaluation n’a été faite de ceux-ci dans les conditions sus-mentionnées de sorte qu’il manque une condition déterminante pour que les barèmes de l’article L1235-3 du Code du travail puissent trouver application dans le litige soumis à la juridiction si bien qu’il y a lieu de les écarter purement et simplement. Il appartient en conséquence souverainement au juge d’apprécier l’étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi en motivant l’indemnité allouée conformément à l’article L1235-1 du Code du travail devant lui assurer une réparation adéquate au sens de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT ».

 

Ainsi, en l’espèce :

 

« Dans ces conditions, au vu des éléments du préjudice subi en particulier le fait que Mme [B] justifie de la persistance dans le temps de sa précarité au regard de l’emploi, étant observé qu’elle était âgée de 57 ans au jour de son licenciement et éprouve manifestement des difficultés sérieuses à retrouver à la fois un emploi stable mais encore au même niveau de rémunération, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Climinvest à payer à Mme [B] la somme de 40 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

4. Analyse.

 

La Cour d’appel de Grenoble suit la lignée de la Cour d’appel de Douai et rejette l’application du Barème d’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, postérieurement à l’avis rendu par la Cour de cassation le 11 mai 2022 (pourvoi n°21-14.490). La Cour d’appel de Douai avait déjà, dans un arrêt en date du 21 octobre 2022 (n° 20/01124), rejeté l’application du barème de l’article L1235-3 du Code du travail en exerçant un contrôle de conventionnalité in concreto.

 

Toutefois, pour rejeter l’application du barème, la Cour d’appel de Grenoble se fonde sur un motif nouveau : depuis la mise en place du barème, le gouvernement n’a pas réalisé d’examen à intervalles réguliers du barème d’indemnisation, contrairement à l’obligation qui a été mise à sa charge par l’OIT.

 

Pour justifier sa position apparemment en contradiction avec celle de la Cour de cassation, la Cour d’appel de Grenoble explique que

« la Cour de cassation a jugé les barèmes compatibles avec l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT mais ne les a pas jugés conformes ».

 

Or, le comité d’expert de l’OIT estime que la conformité du barème à la Convention n°158 suppose l’examen régulier du barème d’indemnisation par le gouvernement français. La position de la Cour d’appel de Grenoble ne serait donc pas en contradiction avec celle de la Cour de cassation. L’impact de cette décision de la Cour d’appel de Grenoble reste incertain.

 

Le mouvement de résistance, introduit par la Cour d’appel de Douai, face à la position de la Cour de cassation doit être relativisé car la grande majorité des cour d’appel ont suivi la position adoptée par la Haute cour. Cependant, le nouveau fondement adopté par la Cour d’appel de Grenoble pourrait bien être repris par d’autres cour d’appel.

 

Il sera en tout cas assurément repris pas les avocats conseils des salariés victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. D’autres cour d’appel auront donc vocation prochainement à donner leur position sur cette argumentation. En tout état de cause, il est peu probable que la Cour de cassation décide de changer sa position au regard de ce seul argument nouveau. En effet, ce nouveau fondement repose sur une recommandation réalisée par un comité d’expert de l’OIT, recommandation qui n’a pas de force contraignante.

 

Or, le Comité européen des droits sociaux, dont les décisions ne sont pas non plus contraignantes, avait déjà considéré, dans deux décisions de septembre et novembre 2022, que les plafonds d’indemnisation du barème ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur, ce qui viole la charte sociale européenne. La Cour de cassation, n’en étant pas juridiquement obligée, avait choisi de ne pas prendre en compte ces décisions pour juger en mai 2022 que le barème d’indemnisation est conforme à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. Il est alors fort probable que la Cour de cassation ne tienne pas non plus compte d’une recommandation non contraignante formée par l’OIT.

 

Par ailleurs, la Cour de cassation avait déjà connaissance de cette recommandation de l’OIT lorsqu’elle a rendu son arrêt du 11 mai 2022. Néanmoins, la Cour de cassation pourrait retenir une telle argumentation étant donné qu’elle a déjà reconnu une autorité interprétative aux recommandations du comité d’experts de l’OIT.

Sources

 

  • CA Grenoble, 16 mars 2023, n° 21/02048.
  • Liaisons sociales quotidien n° 18760 du 21 mars 2023, Barème Macron : la Cour d’appel de Grenoble résiste à son tour.
  • Liaisons sociales quotidien n° 18760 du 21 mars 2023, « La motivation de la Cour d’appel de Grenoble est habile », estime Julien Icard.
  • Anne-Lise Castell, Barème Macron : encore de la résistance ?, Editions Tissot, 30 mars 2023.

Publié dans Justice

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